L’identité numérique de nombre de pays africains dans l’espace Internet public et privé est encore à construire.
Même si les chiffres d’appropriation varient d’un pays à l’autre, la réalité est que la majorité des professionnels – publics et privés – susceptibles d’apparaître en ligne préfère opter pour un nom de domaine générique comme le .com ou le .org que pour un nom de domaine national ou géographique : un .pays.
Les entreprises, les particuliers, les universités, le monde associatif et les pouvoirs publics ont des réticences à utiliser la désinence pays, pour plusieurs raisons.
La fiabilité et la confiance
Le manque de professionnalisme technique, sur la mise en place et la gestion des systèmes DNS, a prévalu pendant des années et si l’on constate des améliorations, la réputation demeure d’un .pays mal géré, sur des serveurs peu fiables, mal configurés, peu sécurisés etc.
Des inquiétudes se sont exprimées également sur la discrétion concernant les données, le contenu des échanges électroniques : qui les administre ? Qui peut y avoir accès ?
La visibilité internationale
Dans l’esprit, notamment, du secteur privé, le .pays prive le projet d’une visibilité internationale.
Même si certains professionnels ont conscience de l’importance d’un ancrage national, et sont conscients qu’un .com n’apporte pas directement cette visibilité, ils restent convaincus d’éviter de prendre ce qu’ils considèrent comme un risque inutile.
La méconnaissance
Les .pays sont arrivés tardivement sur le marché en general et le temps qu’ils prennent leur place nombre d’entités avaient déjà inscrit leur identité numérique avec des noms de domaine génériques. Il était difficile de les convaincre d’en changer.
Par ailleurs, le travail de communication autour de l’identité numérique nationale n’a toujours pas été entrepris – ou insuffisamment– dans nombre de pays.
La force des réseaux sociaux
L’arrivée des plateformes 2.0 il y a quelques années a signifié un vrai bouleversement pour le continent. Crées ailleurs (aux Etats-Unis ou en Europe), ces nouveaux modes de communication ont très vite conquis les jeunes populations - soucieuses comme ailleurs de réactivité, de réseaux, de partage. Les sites web ont cédé la place aux blogs et les courriels aux messages instantanés.
Les contenus locaux
Le .pays est au service des contenus locaux, démontrant une forme d’appartenance, souvent qualifiée de « patriotisme numérique ». Un lycée monte son site web, une entreprise locale décrit ses produits sur une plateforme, une collectivité propose des services sur un site vitrine, un fonctionnaire ministériel (a fortiori un ministre) met son adresse électronique sur sa carte de visite.
Les medias traditionnels ou associatifs développent des contenus (texte, photos, vidéos) qui ont souvent besoin de serveurs puissants et fiables, tout autant que d’apparaître sous une appellation nationale. Leurs lecteurs ont également besoin de ce sentiment d’appartenance, de consulter et de s’exprimer sur des medias (voire dans les langues) de leur pays d’attache – signifiant que c’est également valable pour la diaspora.
Si la communauté technique s’est constituée et renforcée au fil des années en Afrique francophone, sa capacité à communiquer sur les enjeux du développement d’Internet et les opportunités qu’apporte ce nouveau media est demeurée faible - à l’extérieur de ladite communauté.
Fédérer les communautés
Pour autant, le .pays est résolument au service de la communication de l’ensemble de la communauté qu’il vise à regrouper. Il est le vecteur de ce patriotisme numérique, il peut et doit devenir le socle de celui-ci. A condition que la communauté qui le porte soit à même de le promouvoir en termes simples et attractifs. Tout autant que de trouver des relais en s’inscrivant dans l’écosystème local et régional de la production de contenus numérique, tout autant que de prendre une place au sein de la communauté Internet.
L’enjeu d’une identité numérique nationale, de ce fameux patriotisme tant désiré et qui paraît si loin encore est de convaincre l’ensemble des professionnels de l’adopter. Ceci nécessite plusieurs formes de communication, du lobbying auprès des forces politiques et institutionnelles, en passant par la communication envers la société civile, sans oublier de convaincre le secteur privé de l’intérêt de changer ou d’adopter cette identité.
Il s’agit, enfin, d’accompagner les communautés locales à entrer dans la société de l’information et de la connaissance tout en gardant leur identité.
Cybersquatting
Même si une identité communautaire ne peut être utilisée maintenant, il est nécessaire et prudent, pour une communauté, de l’enregistrer et ainsi de le protéger - pour un usage ultérieur. Ainsi, les risques de cybersquatting (vol de l’identité numérique d’une structure) sont moindres avec l’identité nationale, et tellement plus aisé qu’avec des noms de domaine génériques comme le .com ou le .n
L’exemple des Touaregs
Le nom touareg représente une grande communauté des habitants du Sahara central (Niger, Burkina, Mali), dont la sédentarisation s'accélère depuis la seconde moitié du XXe siècle. Ce nom c’est aussi celui d’une marque de véhicule 4x4 de type Volkswagen fabriqué en Europe centrale. Imaginons que le fabriquant de ce véhicule prenne l’identité touareg.pays pour sa marque de véhicule, la communauté touareg perdrait la une identité communautaire ancienne et riche en symboles !
En résumé, l’I2N, l’Identité numérique nationale, est le socle pour convaincre localement les prescripteurs privés, publics et citoyens de prendre le chemin du patriotisme numérique, de la revendication d’un pays en route vers une autonomie de sa production de contenus (et de richesses) tout en maintenant un niveau d’intéraction avec ses voisins proches ou plus lointains.
Odile Ambry
Co-ordinatrice du groupe de travail I2N
Fondatrice des séminaires Vers une identité numérique nationale